Cet article provient du site de l’European Trade Union Institute
Jukka Takala, un expert international des cancers en lien avec le travail, pense qu’il est nécessaire de mettre sur pied un programme mondial d’élimination des cancérogènes sur les lieux de travail. « Le cancer est le principal tueur sur les lieux de travail », a-t-il déclaré le 16 décembre, lors d’un forum mensuel de l’ETUI.
Les chiffres sont sans appel. Rien que dans l’Union européenne, 102.000 personnes perdent chaque année la vie à cause de leur exposition au cours de leur carrière à des substances cancérogènes ou leur implication dans des processus qui les exposent à des agents cancérogènes. Cela représente 53% des décès liés à des maladies en lien avec le travail.
Or, les politiques de prévention des pathologies cancéreuses et les campagnes d’information et de sensibilisation n’évoquent pratiquement jamais la dimension travail. Des données montrent pourtant que le lieu de travail devrait être un enjeu central en matière de lutte contre le cancer. D’après les chiffres d’une étude citée dans un article du Dr Takala, chez l’homme près d’un cancer du poumon sur trois, et près d’un cas de leucémie sur cinq sont attribuables à une exposition professionnelle.
L’ancien directeur de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) estime nécessaire de mener une vaste campagne de mobilisation. L’Union européenne pourrait y jouer un rôle moteur : « lors de la conférence de mai dernier consacrée par la présidence néerlandaise de l’Union européenne aux cancers professionnels, plusieurs gouvernements ont manifesté leur volonté de faire bouger les choses », a-t-il déclaré en substance.
Une proposition de révision de la directive européenne sur les cancérogènes et les mutagènes est en cours de négociation. La Commission européenne s’était engagée à présenter des propositions pour 25 valeurs limites en 2016 et à arriver à un total d’au moins 50 valeurs limites en 2020. Elle n’a pas tenu ses engagements. Seulement treize valeurs limites ont été proposées en mai 2016 et cinq autres seront proposées en janvier 2017. Interrogé sur le fait que les particules diesel ne figurent finalement pas sur cette liste, Mr Takala a contesté l’argumentaire de la Commission selon lequel les particules diesel constituent un problème du passé, car les nouveaux moteurs n’en émettraient plus. « La Commission semble croire que les employeurs changent leurs machines tous les cinq ans, un peu comme les automobilistes. Beaucoup d’anciens moteurs diesel très polluants sont toujours utilisés et le seront encore pendant de nombreuses années », a-t-il expliqué.
Esther Lynch, la secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES) en charge de la santé au travail, a appuyé l’idée d’une campagne internationale, dont l’Union européenne serait le fer de lance. « Une des pires injustices en Europe est le fait que des travailleurs voient leur vie raccourcie à cause de leur travail », a-t-elle déclaré.
Elle a également tenu à attirer l’attention sur l’invisibilité des cancers professionnels touchant les femmes, même si les statistiques montrent que ce sont les hommes – du fait de la ségrégation du marché du travail – qui paient le plus lourd tribut. Elle a notamment évoqué des études récentes, en de plus en plus nombreuses, attestant d’un lien entre travail de nuit et cancer du sein et du risque accru de cancer chez les coiffeuses.
La responsable de la CES a rappelé que l’objectif de son organisation restait bien l’adoption de 50 valeurs limites contraignantes (au lieu des 25 proposées par la Commission), ainsi que l’extension du champ de la directive Cancérogènes et mutagènes aux substances toxiques pour la reproduction, ainsi que l’adoption d’une législation européenne protégeant les travailleurs contre les perturbateurs endocriniens.