Le 15 décembre 2011 – Lettre ouverte à Stephan Schmidheiny, accusé de désastre volontaire devant le tribunal pénal de Turin (Italie)
Monsieur Schmidheiny,
Au moment où un procureur italien requiert à votre encontre une peine de 20 ans de prison ferme au tribunal pénal de Turin, vous osez proposer d’acheter au prix fort (18 millions €), le retrait du procès de la ville de Casale Monferrato, ville dont la population est décimée par les effets sanitaires de l’amiante produit dans votre ancienne usine Eternit. Nous tenons à vous exprimer notre indignation pour le mépris avec lequel vous traitez les victimes de l’amiante.
Pendant des décennies, vous avez, délibérément, organisé le silence et le mensonge autour des effets mortels de cette fibre, pour étendre le marché de l’amiante à des dimensions planétaires, rendant irréversible une production qui fera des millions de morts.
Lorsque l’interdiction de l’amiante en Europe est devenue inéluctable, vous avez retiré votre argent de cette industrie très lucrative (entre 1984 et 1999, la valeur de votre patrimoine a doublé pour passer de 2 à 4 milliards US$). Une partie de cette richesse, vous l’avez réinvestie dans le secteur forestier en Amérique Latine. Selon des données suisses, vous aviez commencé à acheter des aires forestières chiliennes en 1982 et possédez actuellement plus de 120 000 hectares dans le sud du Chili, près de Concepción, terre que les indiens Mapuche revendiquent comme leur depuis des temps immémoriaux. Les Mapuche vous ont accusé d’avoir acheté une grande partie des terres dont ils avaient été expropriés avec les pratiques d’intimidation, torture et assassinat usuelles durant la dictature de Pinochet. Cet empire forestier s’étend désormais sur 4 pays d’Amérique Latine (Chili, Brésil, Argentine, Uruguay). Vos plantations de pins et d’eucalyptus en culture intensive sont en train d’assécher la grande nappe phréatique du pays des indiens Guarani, indiens égalment spoliés de leur territoire tout comme les paysans sans terre du Brésil. Qu’à cela ne tienne, vous êtes aujourd’hui le premier producteur de fabrication de meubles et d’aménagement intérieur en bois d’Amérique Latine. Votre société, Masisa, dispose de 9 complexes industriels au Chili, en Argentine, au Brésil, au Venezuela et au Mexique, avec bien sûr – puisque vous vous recommandez du développement durable ! – les certifications ISO 14001 et OHSAS 18001. Ces normes masquent en réalité l’intense contamination à des cancérogènes et toxiques pour la reproduction tels que les pesticides ou le formaldhéhyde avec lesquels ont été traités les bois issus de vos plantations.
Tout cela ne vous a pas empêché de vous faire une place dans la promotion du développement soi-disant « durable » à l’échelle mondiale, slogan qui ressemble à s’y méprendre à celui qui fut au fondement de votre empire Eternit, le mythe de « l’usage contrôlé de l’amiante ».
Aujourd’hui vous tentez d’inciter les victimes italiennes à se retirer du procès dans une transaction qui comporte, avez-vous pris soin de préciser, des millions pour la recherche sanitaire.
Outre leur indécence, loin d’affaiblir votre responsabilité, ces propositions sont un aveu de culpabilité. C’est à la justice, et non à vous, de décider de la réparation que vous devrez verser aux victimes. Quant à la recherche, je ne sais quels scientifiques pourraient accepter de travailler sur les conséquences sanitaires de l’amiante avec l’argent gagné par vous au prix des morts de Casale et de bien d’autres usines de par le monde.
S’il vous plaît, Monsieur Schmidheiny, veuillez respecter la mémoire des morts et la dignité des vivants, de tous ceux que l’amiante – le votre – a tué ou meurtri.
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