Le Canada s’acheminerait-il enfin vers l’interdiction de l’amiante ?

Communiqué de presse, Association Henri Pézerat, Ban Asbestos France, 15 septembre 2012

(télécharger en pdf)

Après s’être opposé depuis 2004 à l’inclusion de l’amiante chrysotile à l’annexe III de la Convention de Rotterdam, le gouvernement du Canada ne s’oppose plus à ce que le minerai soit inscrit dans la liste des substances dangereuses de la Convention. Depuis 10 ans, le Canada était l’unique pays dissident à l’ajout de l’amiante chrysotile à l’annexe III de la Convention, qui requiert l’unanimité des signataires. Un ajout à cette annexe oblige les pays exportateurs à informer les importateurs des dangers du produit pour la santé.

Paradoxalement, c’est par la voix de son ministre Christian Paradis, député de Mégantic-L’Érable et grand défenseur de l’industrie de l’amiante depuis son élection en 2006, que le gouvernement Harper a fait cette annonce hier. Il a du même coup annoncé la création d’un fonds de 50 millions $ pour la diversification économique des régions de Thetford Mines et d’Asbestos, qui exploitaient encore l’amiante jusqu’à il y a quelques mois. Mieux vaut tard que jamais !

Grâce aux mobilisations du printemps 2012 au Québec, une nouvelle politique voit le jour, en particulier en matière d’amiante. Mme Marois – première femme québecoise devenue premier ministre du Québec – a annoncé son intention d’interdire l’exploitation du chrysotile. Là encore, mieux vaut tard que jamais !

Ces décisions, québecoise et canadienne, constituent une avancée majeure sur le chemin qui mène à l’interdiction mondiale de l’amiante. Elles résultent en premier lieu de la prise de conscience citoyenne et des mouvements sociaux au Canada. Elles sont aussi la conséquence de la mobilisation internationale du réseau Ban Asbestos, des syndicats et associations qui, de par le monde, constitue l’un des plus importants mouvements citoyens pour la défense du droit à la vie contre le droit au profit.

Ban Asbestos France et l’association Henri Pézerat saluent cette bonne nouvelle et ré-affirment ici leur engagement dans la lutte à poursuivre pour une interdiction définitive de l’amiante à l’échelle planétaire.

Contact : Annie Thébaud-Mony (06 76 41 83 46)

Mine LAB Chrysotile de Black Lake (Québec)

Echantillon d’amiante, musée de la mine, Thetford Mines

Mine LAB Chrysotile de Black Lake (Québec)

 

– – – – –

Un article du journal québecois Le Devoir
(15 septembre 2012)

lire sur le site du journal

Après des années d’obstruction unilatérale, le gouvernement fédéral change de cap : il ne s’opposera plus à ce que l’amiante chrysotile s’ajoute à liste des produits dangereux de la convention de Rotterdam. Il assortit cette annonce d’un investissement de 50 millions pour la diversification économique des régions d’Asbestos et de Thetford Mines. Un cadeau à l’arrière-goût de désaveu pour l’industrie, pendant que les nombreux opposants au chrysotile se réjouissent de ce revirement radical de situation.

En conférence de presse à Thetford Mines, le ministre fédéral de l’Industrie, Christian Paradis, a imputé à Pauline Marois la responsabilité des décisions d’Ottawa. La nouvelle première ministre du Québec « a clairement indiqué son intention d’interdire l’amiante au cours de la campagne électorale. Sa décision aura des conséquences négatives sur la prospérité de la région. Entre-temps, des centaines de travailleurs sont sans emploi et vivent dans l’incertitude », a dénoncé M. Paradis. « Nos travailleurs doivent retrouver l’espoir, et c’est ce que je vais faire », a-t-il promis. « Puisque Mme Marois a manifestement pris sa décision, il faut maintenant penser aux travailleurs et à leurs familles. »

Les modalités d’attribution du fonds demeurent nébuleuses.

Christian Paradis a écorché au passage la commission parlementaire promise par Mme Marois au cours de la campagne électorale, la qualifiant de « consultation pédagogique ». « Les travailleurs méritent mieux que des consultations académiques », selon M. Paradis.

Présent à la conférence de presse, le maire de Thetford Mines, Luc Berthold, s’est réjoui des investissements, tout en maintenant que la relance de la mine LAC est toujours possible. Il concède que le contexte est défavorable : « On n’a pas besoin de se mettre la tête dans le sable pour comprendre que c’est très difficile pour l’industrie. Maintenant, on a les outils pour que la transition se fasse bien », dit-il.

Celui qui est également président de la Société de développement économique de la région de Thetford soutient toutefois que ces 50 millions ne suffiront pas. « Ce n’est pas vrai qu’on peut fermer une industrie avec ce montant-là ! » a-t-il lancé, remerciant Christian Paradis pour ce « premier pas » dans la bonne direction.

Du côté du Parti Québécois, on dit simplement « prendre acte » de la décision d’Ottawa. Pauline Marois a promis pendant la campagne électorale de tenter d’annuler le prêt de 50 millions consenti par les libéraux à la mine Jeffrey, et de tenir une commission parlementaire dans le but d’aboutir à une « décision définitive » concernant l’industrie dans le contexte où les études scientifiques vont « dans le sens d’un bannissement ».

Convention de Rotterdam

Pourquoi cette volte-face d’Ottawa sur la liste de produits dangereux, à des mois de la prochaine réunion de la convention de Rotterdam ? « La question d’opposition à la liste de la part du Canada devient sans fondement du moment où la seule province productrice de chrysotile a annoncé qu’elle interdirait son exploitation par la bouche de sa première ministre élue », selon M. Paradis.

En juin 2011, le Canada a fait échec à la proposition visant à inscrire l’amiante chrysotile à la liste des produits dangereux de la convention de Rotterdam. Alors qu’un consensus se dessinait, le Canada l’a fait voler en éclats, suivi par le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Vietnam. C’était la troisième fois que le Canada faisait avorter la proposition.

Et si le Canada laissait simplement le rôle du mauvais garnement à la Russie ? Le principal pays producteur d’amiante chrysotile au monde a adhéré à la convention de Rotterdam en juillet 2011, soit peu après la dernière Convention des parties. Lors de la prochaine réunion, en 2013, ce sera donc la première fois que la Russie pourra s’exprimer sur la question, qui est à l’ordre du jour. « Le Canada ne sera plus le leader, mais j’imagine que ce sera la Russie qui deviendra le nouveau Canada », imagine Kathleen Ruff, conseillère à l’Institut Rideau.

« C’est une très bonne nouvelle », dit le Dr Fernand Turcotte, professeur émérite de santé publique et de médecine préventive de l’Université Laval. « On va récupérer une partie de l’honneur qu’on avait perdu avec cette position insensée. On voit aussi que le gouvernement va aider les gens à se sevrer d’une industrie moribonde », se réjouit-il. « La convention n’est certainement pas le dernier clou dans le cercueil de l’industrie, mais c’est une façon plus claire de continuer à expliquer à la population que c’est une matière dangereuse qui ne peut pas être utilisée de façon sécuritaire », selon le Dr Yv Bonnier Viger, président de l’Association des médecins spécialistes en santé communautaire du Québec.

Le Dr Turcotte croit que si la proposition d’inclusion du chrysotile à la liste des produits dangereux se matérialise, le gouvernement n’aura pas le choix de cesser de promouvoir l’utilisation sécuritaire. « Les producteurs et les commerçants seront astreints à un certain nombre d’obligations pour réduire les risques sur la santé. Il va falloir arrêter de parler d’utilisation sécuritaire, car c’est un mensonge aussi grossier que de dire qu’on peut sauter du 15e étage de façon sécuritaire ! »

Le ministre Christian Paradis ne va pas aussi loin. Aux journalistes qui lui soulignaient la contradiction entre l’utilisation sécuritaire et la liste des produits dangereux, il a lancé : « J’ai grandi ici, j’ai des parents des amis qui ont travaillé dans les mines, j’y crois certainement [à l’utilisation sécuritaire]. »

L’Association médicale canadienne salue la décision d’Ottawa et lui demande d’entamer une démarche d’évaluation des répercussions sur la santé dans l’élaboration des politiques publiques.

Greenpeace, la Société pour vaincre la pollution (SVP), Nature Québec, la Coalition Québec meilleure mine et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique ont également accueilli positivement le changement de cap d’Ottawa. « Pour sceller définitivement le sort de l’amiante au Canada, il faut maintenant que le gouvernement fédéral légifère afin d’interdire toute exportation de l’amiante, ce qui est de sa juridiction », selon Daniel Green, coprésident de la SVP. C’est Québec qui a autorité pour en interdire l’exploitation.

Le président de Mine Jeffrey, Bernard Coulombe, a appris en même temps que les journalistes qu’Ottawa se rétractait dans ce dossier. Quelques minutes après l’annonce, il a affirmé sur les ondes de RDI que « ce n’était absolument pas la fin de la mine Jeffrey. Il y a des pays qui ont besoin du chrysotile ». Il a toutefois ajouté que si la mine fermait, « le fort de l’utilisation sécuritaire dans le monde » disparaîtrait. Il doute des possibilités de diversification économique. « Une ville minière, c’est une ville minière. On en vit depuis 133 ans. C’est la ressource qui est le moteur économique. On va continuer de se battre tant qu’on n’est pas battus. »

– – – – –

Voir également : reportage (vidéo) sur le site de Radio Canada