Article de Stéphane Mandard paru sur Le Monde
Le maire de Rouen a demandé à l’agence régionale de santé de Normandie et à l’Etat la mise en place d’un « registre sanitaire » afin de répertorier les personnes exposées aux fumées ou qui auraient manipulé des débris ou des suies potentiellement contaminées.
Quatre ans quasiment jour pour jour après le gigantesque incendie qui avait ravagé les entrepôts de Lubrizol et de Normandie logistique le 26 septembre 2019, brûlé près de 10 000 tonnes de substances chimiques et plongé Rouen dans la stupeur, les habitants de l’agglomération normande sont de nouveau inquiets pour leur santé.
Deux immeubles désaffectés du quartier Saint-Julien ont été totalement détruits par les flammes, samedi 30 septembre, provoquant d’impressionnants panaches de fumée et nécessitant l’intervention de 130 pompiers. Pas de victime, « aucun seuil de dangerosité » concernant la toxicité des fumées, selon les premiers relevés opérés par les pompiers pendant leur intervention, mais des préoccupations liées à la présence d’amiante, dont les fibres sont cancérigènes, notamment dans les cloisons et les faux plafonds de ces édifices de verre et d’acier construits dans les années 1970.
Le maire de Rouen et président de la métropole, Nicolas Mayer-Rossignol (PS) , a annoncé dimanche sur X (anciennement Twitter) avoir demandé à l’agence régionale de santé (ARS) de Normandie et à l’Etat la mise en place d’un « registre sanitaire » afin de répertorier les personnes exposées aux fumées ou qui auraient manipulé des débris ou des suies potentiellement contaminées : « Il ne s’agit pas de faire peur, mais de prendre toutes les mesures nécessaires pour répondre aux attentes de nos concitoyens. »
Les établissements scolaires situés dans la « zone d’exposition »définie par la préfecture de Seine-Maritime étaient fermés lundi 2 octobre pour être inspectés et nettoyés. Ecoles, aires de jeux, enceintes sportives… : la ville de Rouen a missionné l’entreprise Séché Environnement afin de réaliser des prélèvements au sol et dans l’air pour mesurer la présence d’amiante. Les résultats devraient être connus d’ici au mercredi 3 octobre.
« Les pouvoirs publics minimisent le risque lié à l’amiante »
Comme lors de l’incendie de Lubrizol, des débris et des suies ont été repérés au-delà de Rouen, dans les communes voisines du Petit-Quevilly, de Mont-Saint-Aignan et de Bois-Guillaume. L’ARS a émis une série de recommandations pour les habitants de cette zone : éviter tout contact cutané, ne pas balayer ou aspirer, ne pas consommer de fruits et légumes souillés. L’ARS a également fait réaliser des prélèvements dans deux réservoirs d’eau potable à l’air libre situé à cinq kilomètres de l’incendie. Les résultats ne sont pas attendus avant la fin de la semaine.
« Nous ne sommes pas dans le cadre d’un incendie comme Lubrizol où il y avait un risque chimique, nous sommes sur un risque de fibre d’amiante, ce n’est pas le même niveau de dangerosité », avait tenu à rassurer dimanche auprès de l’AFP Fatima El Khili, adjointe au logement à la mairie de Rouen. « C’est extrêmement choquant qu’un élu puisse minimiser la dangerosité de l’amiante », réagit Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et spécialiste de l’amiante. « On sait que l’exposition environnementale à des fibres d’amiante, même à des très faibles doses, peut conduire à l’apparition de mésothéliomes [cancers de la plèvre] jusqu’à quarante ans plus tard chez les personnes qui les ont inhalées. »
« Comme pour Lubrizol, les pouvoirs publics minimisent le risque lié à l’amiante » , juge de son côté le collectif Lubrizol qui regroupe des syndicats, des associations de victimes, de défense de l’environnement et des partis de gauche. Le 26 septembre 2019, 9 000 mètres carrés de toiture en fibrociment, composé d’amiante, avaient brûlé. A l’époque, les prélèvements diligentés par la préfecture et l’entreprise n’avaient pas mis en évidence une pollution à l’amiante.
Pourtant, une expertisemandatée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des sapeurs-pompiers de Seine-Maritine avait estimé à plusieurs milliards le nombre de fibres libérées dans l’air.
Demande d’une « bulle étanche »
« Des milliards de fibres d’amiante vont finir par retomber sur les sols de l’agglomération dans les prochains jours », estime Gérald Le Corre, inspecteur du travail à Rouen, responsable des questions de santé au travail à la CGT de Seine-Maritime et membre actif du collectif. Ce dernier réclame la publication des tonnages d’amiante retirés des immeubles incendiés afin de pouvoir évaluer la quantité émise dans l’atmosphère. Il demande également le déploiement d’une campagne de prélèvementsaux frais de l’assureur de Rouen Habitat (le propriétaire des immeubles) dans tous les locaux et habitations qui ont pu être touchés.
A l’instar du dispositif mis en place sur le chantier de Notre-Dame de Paris, avec le plomb après l’incendie, le collectif réclame aussi la construction d’une « bulle étanche » sur le site du sinistre afin d’éviter le risque de remise en suspension de fibres d’amiante lors des opérations de nettoyage.
L’origine du sinistre n’est pas déterminée. Le parquet de Rouen a ouvert une enquête pour « destruction involontaire par incendie par manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité ». Les deux immeubles partis en fumée samedi n’accueillaient plus d’habitant depuis 2018 précisément en raison du risque incendie. Ils devaient être démolis pour laisser place à un écoquartier.