J’ai rencontré Henri Pézerat par un de ces hasards qui changent beaucoup de choses dans votre vie.
Je me suis installé dans le Sud Aveyron en 1973 et j’ y ai monté, avec ma compagne , une exploitation agricole sur des terres restées en friche depuis des décennies. Près de vingt ans plus tard, un paysan du coin m’arrête sur le trottoir du village voisin. Nous sommes en 1990. Il m’apprend qu’un atelier de conditionnement d’amiante fonctionne depuis 1984 à l’entrée du village chez un charpentier, et que celui-ci vient de décider d’installer un local plus grand et plus moderne sur un terrain qui jouxte ses terres. En bref, il me demande des informations sur la dangerosité de l’amiante.
Ayant quitté Paris depuis 1973, je n’ai pas suivi de près la lutte de Jussieu, mais j’ai quand même une idée de ce qu’est l’amiante. Très vite, le petit groupe qui se constitue autour de ce dossier s’aperçoit de l’énormité de cette affaire que beaucoup de gens croient réglée depuis les quelques décrets pris en 1977. L’affaire secoue la région de Millau et nous organisons un premier colloque dès 1990 avec des intervenants allemands et italiens et le soutien de l’UFC, des Verts et de la Confédération paysanne.
Je ne sais plus par quel biais cette information va remonter jusqu’à Henri, toujours est-il qu’il contacte Alain Lascoux, un ancien du Collectif intersyndical de Jussieu, et lui suggère d’aller voir, selon ses propres termes, » qui sont ces types qui relancent l’affaire de l’amiante dans le sud de la France. » La liaison est établie et solidement établie , et dès 1993 nous nous retrouverons à Milan pour un colloque scientifique international, puis au Brésil à Sao Paulo l’année suivante où nous créerons le réseau Ban Asbestos que je représente ici aujourd’hui et qui œuvre pour une interdiction mondiale de l’amiante.
Je ne rappelle pas ce souvenir pour l’intérêt de l’anecdote mais parce qu’il suffit à illustrer l’incroyable réactivité d’Henri au moindre signe permettant de reprendre un combat commencé une quinzaine d’années plus tôt, ainsi que sa ténacité à toute épreuve. C’est ainsi que j’ai commencé à connaître Henri : quelqu’un qui ne lâche jamais.
Le premier mot qui me vient à l’esprit pour parler d’Henri, c’est le mot passeur. Henri était une de ces personnes rares, on pourrait dire rarissimes, qui, à eux tous seuls, jettent un pont entre les époques, entre les luttes et entre les milieux sociaux.
Le pont jeté entre le personnel de Jussieu et les ouvrières d’Amisol à Clermont-Ferrand, c’est essentiellement lui. Le fil renoué entre la lutte des années 1975 et le début de la grande bagarre des années 1990, c’est aussi lui, même s’il n’aurait pas apprécié d’être ainsi mis sur le devant de la scène, modestie oblige.On pourrait aussi évoquer ses incessants va et vient entre l’univers des scientifiques et le monde ouvrier.
Henri était également la mémoire vivante des luttes qui se sont entrecroisées en France pendant les trente dernières années. De la vallée de la Maurienne aux mines d’or de Salsigne en passant par les carrières de talc d’Ariège, il ne lui avait pas échappé grand chose des risques industriels et du danger que faisait courir à la santé des travailleurs l’exploitation forcenée dont ils étaient victimes. Aussi était-il en première ligne pour affronter les représentants du patronat au Conseil supérieur de prévention des risques professionnels du Ministère du Travail où il représentait la CGT. Et cela n’a jamais été une partie de plaisir…
Enfin, Henri représentait bien la belle figure du lanceur d’alertes.
Quelqu’un qui a choisi son camp quelles que soient les conséquences pour son parcours professionnel, car il n’aurait pas aimé que l’on parle de carrière. Et il est certain qu’il a payé le prix fort pour le choix indéfectible qui a été le sien.
J’ai beaucoup appris au contact d’Henri car il était quelqu’un qui partage. Mais ce que je garderai en mémoire, c’est son côté fraternel, son souci de l’autre dont je ne l’ai jamais vu se départir une seule fois.
Merci Henri.
Patrick Herman