Le 24 octobre 2009, la présidente de l’association Henri Pézerat est intervenue lors de l’assemblée constitutive de l’Association Henri Pézerat, qui s’est tenue à Fontenay-sous-Bois. Elle est revenue sur les nombreux combats d’Henri Pézerat :
Nous sommes réunis aujourd’hui pour jeter les bases d’une nouvelle association qui portera le nom d’Henri.
Chacun d’entre nous, dans la relation construite avec lui, vit son absence avec tout ce qu’elle signifie, affectivement et politiquement. A lui seul, il a représenté un extraordinaire contre-pouvoir dans la défense des droits les plus fondamentaux : droit à la vie, droit à la santé, droit à la dignité. Répondant à des journalistes-chercheurs venus l’interviewer en décembre dernier, il disait cette action solitaire et sa conviction de la nécessité d’une nouvelle association. Il s’agit d’un entretien paru dans la revue « Mouvements des idées et des luttes » en avril-juin de cette année. Après avoir longuement expliqué la force de contre-pouvoirs des collectifs Jussieu et risques et maladies professionnels des années 70 et du début des années 80, la mobilisation collective avec les ouvrières d’Amisol et l’action qu’il a menée pour faire sortir l’amiante de l’invisibilité, il disait ceci :
« Il est indispensable que se crée une nouvelle association travaillant sur l’ensemble des risques professionnels et environnementaux. Je peux donner quelques exemples dans lesquels je me suis souvent senti un peu seul, regrettant le travail en équipe des deux premiers collectifs. C’est ainsi que je suis intervenu dans quelques cas où les risques dans l’environnement de diverses entreprises ou de leur friche, étaient, à mon sens évidents. A Gaillon, dans l’Eure, j’ai mené aux côtés d’une association de défense de l’environnement une lutte pour faire reconnaître un excès de leucémies dans la population de la ville, au voisinage d’une usine de pesticides, pendant une période donnée (ce que l’on appelle un cluster). Lutte contre les principales autorités régionales, le préfet et surtout le Professeur de Santé publique de Rouen, qui a tout fait pour remettre en cause les résultats de l’InVS. A Mortagne au Perche, j’ai tenté en vain d’obtenir une enquête sur ce qu’avaient pu être les rejets d’une usine d’équarrissage pendant la période de la vache folle, en relation avec l’existence d’un cluster de quatre cas de cancer d’enfant dans le village. A Vincennes, six cas de cancer d’enfant en quelques années, au voisinage immédiat de la friche laissée par Kodak. Là encore, intervention seul d’abord puis en appui d’une association locale. A cette occasion, nous avons mobilisé pendant quelques années toutes les institutions concernées, tenu des réunions publiques avec plus de six cents personnes en présence du directeur de la Direction générale de la santé. Nous nous sommes fortement heurtés à l’InVS, l’INSERM, l’INERIS, qui se sont réfugiés derrière le rôle du hasard. Dernier exemple : j’ai rédigé récemment un projet de recours en Conseil d’Etat contre une nouvelle rédaction du tableau de maladie professionnelle n° 1 consacré aux affections dues au plomb et à ses composés (requête en annulation d’un décret du 9 octobre 2008, ndlr). Ce nouveau tableau est absolument scandaleux parce que contraire à ce qu’on appelle la présomption d’imputabilité d’origine, qui est un des fondements de la législation sur les maladies professionnelles […] Ce principe de présomption d’origine, en France, permet de rejeter tout « diagnostic différentiel », contradictoire avec le principe de présomption d’origine. Il faut donc attaquer ce tableau en Conseil d’Etat, mais on ne peut le faire à titre individuel. Alors au nom de qui, de quoi ? Heureusement, une association de victimes du saturnisme a accepté de prendre en charge le projet. Mais ce n’est pas toujours le cas ! Il est sorti en 2007 des tableaux sur les solvants, absolument scandaleux également, mais je ne les ai pas vus à temps, et de toute façon, je n’avais l’aide ni d’un syndicat ni d’une association ! Il y a donc un vide. Il est impérieux que se crée à nouveau une structure qui soit capable d’ester en justice sur l’ensemble des problèmes de santé au travail. »
Il évoque ensuite la lutte qui l’a le plus marqué dans les dernières années de sa vie :
« Si la riposte est très insuffisante au niveau national, il y a cependant au niveau de quelques entreprises de remarquables foyers de lutte … Je vois par exemple le travail effectué à Commentry, avec le syndicat CGT et l’Association des malades de la chimie dans une énorme usine de chimie, ADISSEO, qui fabrique des suppléments de nourriture animale : vitamine A, vitamine E, méthionine … Ayant rencontré les responsables du CHSCT à l’occasion d’un voyage à Clermont-Ferrand, ils me disent « on ne comprend pas, il y a de plus en plus de gars de l’atelier de la vitamine A qui se retrouvent avec un cancer du rein, qu’est-ce que tu en penses ? ». On échange et ils me nomment expert au CHSCT en 2002. On avait alors dix cas de cancers du rein sur des salariés de l’usine, dont neuf avaient travaillé dans l’atelier de la vitamine A ouvert en 1981. Les premiers cancers s’étaient manifestés en 1992, dix ans après l’ouverture. Aujourd’hui, on en est à trente cas de tumeurs du rein. En 2002, un journaliste du Monde était descendu à Commentry et avait fait un bon papier, qui avait été largement repris. Il nous faut recommencer parce que, malgré trente cas déclarés, on n’a toujours pas obtenu la substitution du produit, bien repéré, à l’origine de ces tumeurs. La lutte porte sur trois exigences : la reconnaissance des maladies professionnelles, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, et surtout, la substitution du produit en cause parce qu’on peut prévoir maintenant une épidémie de cancers du rein au moins jusqu’en 2018 ou jusqu’en 2020, en fonction des temps de latence. Pour l’instant, on gagne sur les deux premiers objectifs, mais pas encore sur la substitution, parce qu’elle va coûter des dizaines de millions d’euros et que l’adversaire est de taille, l’Etat chinois. Ce qu’il y a de remarquable à Commentry, c’est non seulement la bataille menée par le syndicat, mais aussi celle menée par l’association des malades de la chimie. Souhaitons qu’à partir de luttes comme celle-ci, sous réserve qu’elles se généralisent, il sera possible un jour d’enclencher un mouvement national. L’enjeu, c’est de fédérer les énergies et les compétences. »
J’ajouterai simplement une réflexion qu’il fait dans le même entretien à propos de l’action du Comité amiante de Jussieu des années 70 :
« On tenait notre légitimité de notre place dans la lutte et de nos connaissances scientifiques. Ca pèse lourd quand vous traitez des problèmes de santé. L’une des règles principales était : « on ne triche pas, on n’en rajoute pas. Il faut qu’on soit inattaquable au plan scientifique. » Quand vous faites cela, il n’y a pas de problème. »
J’y ajouterai l’importance du travail en réseau avec les avocats, les journalistes et tous ceux qui mettent leur intelligence au service de ces luttes. Personne ne remplacera Henri. Chacun de nous le sait. Mais nous pouvons unir nos forces, l’expérience de nos luttes, et fonder cette association qu’il appelait de ses vœux, en s’appuyant sur tout ce qu’il a construit et réussi au cours de ces trente ans. D’où ce nom de Fondation Henri Pézerat. Depuis avril, quelques-uns d’entre nous se sont réunis pour réfléchir aux objectifs, prévoir les statuts, la localisation, les moyens nécessaires pour mener à bien ce projet. La démarche engagée auprès du Maire de Fontenay-sous-Bois a reçu un accueil très chaleureux. Monsieur le Maire vous le dira lui-même vers 11 heures 30. Nous sommes accueillis à la Maison du Citoyen, un lieu chargé d’histoire de luttes, notamment celle des prêtres-ouvriers, un lieu d’expression citoyenne. Le fonds documentaire d’Henri y sera non seulement préservé mais organisé de telle sorte qu’il devienne cet outil de mémoire vivante au service des luttes à venir. Un « trésor de guerre » m’a dit André Picot ! Oui, c’est un trésor et il vient en appui de cette guerre sans nom dans laquelle de fait nous sommes engagés : nos vies valent plus que leurs profits ! Un travail de peinture et de réfection, coordonné par André Letouzé, est en cours avec des volontaires. Le programme de la journée est le suivant : Matin – discussion/expression pour dire, chacun, comment il s’inscrit dans ce nouveau projet. Je rappelle les objectifs qui ont été définis par le groupe de travail initial et débattus au cours de nombreuses conversations téléphoniques ou par e-mail : « créer et faire vivre un réseau d’échange d’expériences et d’aide au luttes sociales concernant la santé des personnes en lien avec le travail et l’environnement ». Nous avons aujourd’hui la possibilité de nous « reconnaître » membres de ce réseau et de réfléchir collectivement à ce que nous souhaitons faire.
Parmi nous, Pierre et Gilles, Aude, Vivien, Pauline, Thibault, Raphaël, Juliette et Marc, enfants et petits-enfants de ce projet. Henri en aurait été profondément heureux, comme il l’aurait été au vu de tant de visages amis et proches venant s’inscrire dans cette démarche. Que chacun se sente la liberté de dire ce qui prend sens pour lui dans cette démarche.
Avant et après le déjeuner – nous aurons à revoir ensemble le projet de statuts [projection du projet et amendement] puis les adopter. Concernant la structuration de l’association, nous proposons un bureau selon les exigences légales de la loi 1901 (président, secrétaire, trésorier) et surtout la désignation de « portes-paroles » ayant en charge un des thèmes de travail de la Fondation.
Nous proposons que la discussion sur les thèmes et leur porte-parole ait lieu l’après-midi, ainsi que la discussion sur les moyens. Le repas sera pris dans une autre salle. Nous avons acheté des provisions pour un repas très simple. Nous demanderons une participation de 10 euros par personne. La discussion est maintenant ouverte pour créer et faire vivre la Fondation Henri Pézerat, Santé-travail-environnement.
NB : c’est finalement le nom d’ « Association Henri Pézerat » plutôt que de « Fondation » qui a été retenu.