On a entendu, et on peut lire dans certains médias, les interventions de médecins et épidémiologistes qui expliquent qu’il n’aurait jamais fallu suspendre l’usage du vaccin Astra Zénéca. Pour elles et eux, le principe de précaution évoqué pour cette décision était en fait la condamnation à mort de gens qui auraient dû être vaccinés durant cette période et qui allaient mourir du Covid.
Pour cela, ils invoquent la statistique et après des calculs complexes -je dirais hasardeux- le nombre de mort par Covid provoqué par cette suspension est bien supérieur au nombre demorts causé par les effets secondaires du vaccin.
Cette démonstration me paraît emblématique d’un mésusage des statistiques et d’une éthique médicale déficiente.
Le raisonnement évoque la célèbre tribune d’un sinistre Inspecteur Général honoraire de l’Insee qui -par un calcul que nous avions démontré comme biaisé- avait écrit dans une tribune publiée par La Croix que le nombre de suicides à France Télécom était tout à fait normal, voire inférieur au nombre de suicides attendus dans la population générale.
Les tribunaux en ont jugé autrement.
Il est bien dans la continuité des positions d’épidémiologistes qui considèrent les clusters de cancers pédiatriques ou d’enfants né.e.s sans bras comme de regrettables hasards et qui, la calculette à la main, décrètent que tout cela est très normal et déclarent aux familles, comme le fit le Directeur de l’ARS des Pays de la Loire : « Ne paniquez pas ».
Certes, la population « au travail » a une mortalité significativement inférieure à la population générale, même si c’est contre-intuitif. Ce n’est pas pour autant qu’il faille supprimer la prévention des risques professionnels et considérer la mort prématurée au travail ou du travail comme normale.
Pour revenir au vaccin, à quoi servait -peut-être de façon insuffisante- la période de suspension du vaccin et les analyses menées sur les cas de décès ou thromboses graves détectées ?
A établir qui était concerné par ces effets secondaires.
A quoi sert cette analyse ?
A établir quelque chose d’essentiel : y a -t-il une catégorie de population qui aura de façon probable ou certaine des conséquences graves lors de l’injection du vaccin ?
Si cette catégorie existe, elle n’a pas une chance moyenne d’avoir des conséquences graves après la vaccination, mais des chances importantes d’en avoir.
L’éthique commande alors d’écarter cette population de la vaccination, et le calcul d’une chance moyenne d’effets secondaires n’a aucun sens.
Par ailleurs, durant la période où le vaccin est suspendu, bien d’autres facteurs déterminent le taux de mortalité induit par le Covid : capacité des services de santé à absorber les malades Covid, niveau de déprogrammation des interventions jugées « moins importantes », le port ou non des équipements de protection individuels (masques divers), respect ou non des gestes barrières, niveau du télétravail, aération des locaux, degré de confinement et de couvre-feu des populations et respect de ces mesures, volume de livraisons des autres vaccins, rythmes et modalités de vaccination, etc.
Oser affirmer que la suspension du vaccin signifie 25 morts morts par jour comme je l’ai entendu est donc une pure escroquerie intellectuelle et éthique, et la preuve d’une insuffisance de maîtrise de l’outil statistique.
Travailler comme nous tentons de le faire pour démystifier les statistiques de santé l’épidémiologie est bien un de nos objectifs importants !